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Belle prise

nouvelle publiée sur le blog du petit carré jaune à l’occasion de « l’été jaune carré », 2017 – photo (c) Sabine Faulmeyer

Ce sont ses chaussettes qui ont d’abord attiré son regard. De hautes jambières à larges rayures horizontales noires et blanches. Il les a repérées lorsqu’elles étaient encore sur le quai, aiguilles immobiles, avant qu’elles ne tricotent jusqu’à lui.
De telles chaussettes un soir de pleine lune.
Il n’en fallait pas davantage pour qu’il sorte son carnet…
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Personne n’est à l’abri de ne plus en avoir

texte écrit pour le projet Exil intra muros de Marc Melki – photo (c) Marc Melki, 2015

Ça ressemble à un jeu. Me faire toute petite. Loger mon mètre soixante-dix-sept dans une cabine téléphonique au début du pont, rue Lafayette. Faire semblant de dormir sur le pont pour ceux qui habitent dessous.
C’est minuscule, une cabine téléphonique. Et encore, celle-ci n’a pas de porte. Le verre arrête le vent mais pas le bruit. Comment dormir pour de bon au ras du sol, au-dessus des trains, entre les pas et les voitures ? Comment dormir quand n’importe qui peut crier, secouer, frapper ? Je ne m’étais jamais demandé.
Ça ressemble à un jeu parce qu’ensuite je vais me relever, aller boire un deuxième café chaud dans mon appartement à double-vitrage, faire une lessive de mes vêtements. Tout cela je peux, même si je pose là. « Pas de logement = pas de vie » dit le mur juste derrière moi. J’en ai déjà pris la mesure. Personne n’est à l’abri de ne plus en avoir.
On a marché un moment. Les cabines sont de plus en plus rares. On détruit même les solutions de dernier recours. L’objectif du photographe me protège. Il signifie la mise en scène. Rassure le passant. Les couvertures sur lesquelles je m’allonge sont propres.
Mais la mise en scène me fait presque honte. A cause du café chaud, du double-vitrage et de ma machine à laver.
Pour tant d’adultes et tant d’enfants, ça n’est pas un jeu. Ils sont des centaines de milliers à ne pas avoir de domicile personnel, des millions à ne pas avoir de logements décents. Le respect est absent des expulsions. En France. C’est ici que ça se passe. On ne veut plus le voir. En 2015, l’Assemblée nationale a reconnu que les animaux sont des êtres « doués de sensibilité » mais tant d’hommes vivent moins bien que des chiens..
Invisibles aux yeux du monde. Exilés au cœur même de la société.

Il en restera une image. Derrière la vitre sale, le teint vire au cireux. Le teint de ceux qui n’existent plus. Le teint des morts, juste avant l’affaissement définitif des paupières.
Il est plus que jamais utile de faire porte-voix à la question que pose Marc Melki : Et si c’était vous ?

 

La façon dont les choses commencent

d’après la pochette de 666.667 Club de Noir Désir pour le projet musicalo-littéraire « pochettes-surprises » d’Oyoboo (août 2014)

Il était arrivé peu avant minuit. A l’heure où les dîneurs ont déserté les restaurants, à l’heure où les promeneurs ont réintégré le métro. Comme d’habitude.
Ils ne se voyaient pas dans la journée. Elle était occupée. Ni dans la soirée. Elle était très prise.
Deux mois que ça durait.
De son quartier, dont elle lui avait tant vanté les attraits à leur rencontre, il ne connaissait que les façades orangées par l’éclairage artificiel. Jamais vu à la lumière du jour.
Une nuit, ils s’étaient endormis après. Elle l’avait secoué vers quatre heures. Elle tenait à se réveiller seule. Elle avait son rituel du matin. Ils avaient toujours été d’accord sur ce point. Il était reparti à pied.
Peut-être ne voyait-elle personne d’autre que lui. Aussi intimement du moins. Mais tout ce qu’elle ne lui disait pas ouvrait une brèche dans laquelle s’engouffraient ses suppositions par dizaines.
Où commence l’amour ? Il avait compris qu’il était amoureux fou un soir qu’elle n’avait même pas changé les draps.
Jamais on ne l’avait caressé comme ça. Jamais on ne l’avait regardé avec ces yeux-là.
Quand elle allait à la salle de bains, il cherchait des traces qui auraient justifié sa méfiance.
Il n’en trouvait pas.
Ce qui ne signifiait pas que sa méfiance fût infondée.
Elle ne savait pas dire non. Il lui proposait un cinéma, un dîner, une sortie – elle était toujours partante. Elle annulait ensuite. Avec une excellente raison. Et il la rejoignait après. En marchant dans le faisceau des réverbères.
Ce jeudi était férié alors il avait osé émettre l’idée d’un pique-nique. Le cake au saumon finissait de cuire lorsqu’elle avait envoyé un message. J’ai un contretemps. Une amie à aller chercher à la gare. On se voit plutôt comme d’habitude. Ça m’arrange.
Il avait jeté le cake de son cinquième étage. Du saumon sauvage. Chaque annulation piétinait son estime de soi davantage. Le syndrome de Stockholm le menait malgré tout nuitamment jusqu’à l’appartement. Ou son estime retrouvait sa belle vigueur.
En partant ce soir-là, il avait lancé un regard solidaire aux morceaux de saumon échoués dans la haie du rez-de-jardin.
Il pouvait aussi la quitter mais elle l’en empêchait. Il ne parvenait à se défaire de cette conviction intime, profonde, qu’il se serait passé quelque chose de grand s’ils avaient seulement essayé.
Un début d’histoire normal. Se voir dans la journée.
La façon dont les choses commencent.
Ce dont elle ne cessait de les priver.
Il avait dans l’idée de repartir comme il était venu, sous l’éclairage municipal, mais tout cela avait pris plus de temps que prévu.
Lorsqu’il avait tiré la lourde porte de l’immeuble, le soleil était déjà haut, qui brillait avec insolence et faisait fuir les nuages d’un blanc pourtant serein.
C’était vrai que le quartier ne manquait pas d’allure.
La rue, du moins, était remarquable. Haussmann méritait ses distinctions.
Elle n’avait pas menti. Au moins une chose qu’il ne pouvait lui reprocher.
Il prit une profonde inspiration et remercia le ciel de tant de beauté.
Il se mit en route cependant que la danse des nuages affirmait que rien de terrible n’arriverait jamais.
D’un pas souple, il s’éloigna de la cave où reposaient les morceaux de sa dulcinée.
La lumière du jour, voilà ce qui faisait tout l’intérêt. Voilà qui révélait la générosité.
Une belle journée s’annonçait.

 

La parenthèse dorée

dans le cadre de Leitura Furiosa, festival organisé par le Cardan, centre permanent de lutte contre illettrisme basé à Amiens, 2014

http://www.assocardan.org

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La maison des livres

dans le cadre de Leitura Furiosa, festival organisé par le Cardan, centre permanent de lutte contre illettrisme basé à Amiens, 2013

http://www.assocardan.org

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Projet d’écriture de Mathieu Simonet

2011-2012, un thème par semaine
Certains textes ont été publiés parmi les fragments qui composent le roman Le Syndrome de la vitre étoilée

Textes à lire ici